Vela roja

Publié le par María

C'est l'automne. J'allume des bougies partout. Partout. Pour colorer le gris, et la pluie, et le plus froid. Pourtant il ne pleut pas tant que ça ici. Je n'ai jamais autant vu le soleil. C'est impressionnant le temps ici. Mais peu à peu la lumière change. Elle est différente. C'est tout juste perceptible. Mais tout de même... Les journées sont plus courtes déjà. Il fait noir tôt. J'ai rapproché les plantes des fenêtres. Et mon bureau aussi.
J'allume des bougies partout. La rouge, celle offerte par Moon. Ma préférée. Bientôt il n'en restera rien. Elle projette contre le mur des ombres douces, très belles, très fines. L'ombre d'une lanterne en fer forgé.
Je brûle allumette sur allumette et attends jusqu'au dernier moment pour éteindre la flamme. D'abord je la regarde, longtemps. Le plus longtemps possible. Elle tend sa chaleur vers le ciel. Frémit parfois. Noircit la tige de bois peu à peu. Et puis quand tout devient trop chaud, quand tout devient brûlant, alors je souffle doucement dessus. Non pas d'un souffle sec qui éteindrait d'un seul coup la flamme. Non, comme une petite brise, juste un souffle d'air qui la fait danser un peu et doucement s'épuiser.
Alors la fumée. Une fumée blanche qui apparaît et se tord, ruisseau de fumée sinueux qui s'élève dans l'air et peu à peu se perd. A chaque fois je pense à L. qui aurait sans doute aimé filmer ça. Ce moment où je souffle sur l'allumette, doucement, où la flamme jaune tremble d'abord, puis devient bleue ; et cet instant, ce basculement ultime où tout s'échappe, plus rien n'est palpable. Et pourtant ma main tendue vers cet éthéré fuyant. Je pense à L. qui quand elle s'ennuyait pensait au film qu'elle aurait pu en faire. Seulement en regardant les gens, les détails, en observant. Je pense que cette image lui aurait plu.
Alors j'ai essayé de filmer ça. La bougie, l'allumette, la flamme, la fumée. C'est impossible. Mal cadré, couleurs fades, image tremblante... On ne ressentait rien, on ne voyait rien. On ne sentait pas l'odeur, cette odeur toute particulière dans l'air, la chaleur sur les doigts, les couleurs qui dansent et fuient et meurent. Cette fragilité, ce fil que l'on peut couper à tout instant. Il suffit d'un souffle, d'une goutte. Rien que ça.
Je craque les allumettes les unes après les autres pour garder cette lumière, garder cette chaleur tout près de moi. J'aime cette beauté éphémère ; celle de la flamme qui finira par s'éteindre. Inévitablement. Noyée dans la cire ou épuisée de tant briller. Il en est ainsi des choses qui brillent. Il en est ainsi des gens qui brillent.

Al cabo de los años he observado que la belleza, como la felicidad, es frecuente. No pasa un día en que no estemos, un instante, en el paraíso.
Jorge Luis Borges



Publié dans Palabras palabras

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
F
<br /> frissons, le bout des doigts au bord de la brûlure<br /> <br /> <br />
Répondre