Qu'en dire ?

Publié le par María

 






 

Con-Mel-.jpgCe week-end j'ai fait un gros gros travail sur Les Justes en vue d'un exposé/cours (en littérature, on a des exposés sur des oeuvres ou, genres ou courants littéraires à faire qui servent de cours aux autres (que la prof reprend brièvement ensuite - ou pas s'il n'y a rien à reprendre...), intérêt donc que ça tienne la route). Ce n'est pas nouveau, j'adore les oeuvres de Camus. Je n'ai pas tout lu, loin de là mais le peu que je connais de lui me plaît BEAUCOUP. L'Etranger, La peste, L'Eté, Noces et maintenant Les Justes (la première pièce de théâtre que je lis de lui d'ailleurs).
Bref, pendant ce travail, j'ai dû me confronter à la question centrale que pose finalement l'oeuvre, celle de la fin et des moyens. Euh... je crois qu'un résumé s'impose pour que vous compreniez ce que je raconte, je vous "copicol" celui de mon oral (et je vous rajoute entre parenthèses des trucs sur les personnages pour que vous compreniez vraiment) :


Résumé

Pièce de Camus = basée sur un événement réel. Attentat qui a eu lieu à Moscou en 1905 : attentat du grand duc Serge. Camus le dit lui-même : « cet attentat et les circonstances singulières qui l'ont précédé et suivi font l'effet des Justes »

 

La pièce s'ouvre dans un appartement où Annenkov (le chef de l'Organisation, groupe  qui se bat contre le régime tsariste), Stepan (personnage de l'action, sans concessions, passé douloureux), Dora (femme qui croit au bonheur, ce qui l'a conduite au socialisme révolitionnaire, c'est le seul personnage du groupe qui ose avancer que le bonheur personnel et égoïste et peut-être aussi voire plus important que la Révolution et une certaine forme de bonheur collectif), Voinov (étudiant qui s'est fait virer de l'université à cause de ses idées, personnage profondément humain ose dire "j'ai peur") et Kaliayev (le héros de la pièce, personnage jeune, qui ressemblerait un peu à Dora dans sa foi en un futur positif pour la Russie), qui appartiennent à un groupe révolutionnaire projettent de commettre un attentat contre le grand-duc Serge qui règne en despote. Kaliayev doit jeter la première bombe et Voinov la seconde.

Dora et Annenkov regardent l’événement d'un appartement. Après quelque temps, Kaliayev revient. Il n'a pas pu jeter la bombe car, dans la calèche, se trouvaient le neveu et la nièce du Grand-Duc et Kaliayev se refuse de les exécuter. Stepan devient furieux devant l'échec de la mission (il y a un long passage où il hurle en disant "des enfants des enfants, mais vous n'avez que ce mot à la bouche", en fait, pour lui, rien ne doit arrêter l'action révolutionnaire) mais d'un commun accord, les membres du groupe décident de la reconduire au sur-lendemain. Voinov va voir Annenkov et lui avoue sa peur. Il quitte l'Organisation.

Deux jours après, Kaliayev essaie de nouveau d'assassiner le Grand-Duc et cette fois-ci réussit. Il est arrêté immédiatement et jeté en prison. Là, Skouratov, le directeur du département de police, entre  dans la cellule et parle à Kaliayev de l’attentat, en essayant de le faire trahir ses compagnons en échange de sa libération, ce à quoi il se refuse jusqu'au bout. Puis la grand-duchesse Élisabeth (la femme du défunt donc) entre et montre à Kaliayev les conséquences de la mort de son mari, de son point de vue à elle (pour la première fois on ne voit plus le grand-duc comme un despote sanguinaire mais réellement comme un homme aimant et aimé). Puis, elle essaie de le faire avouer qu'il a tué un homme. Mais, pour lui, le meurtre du grand-duc Serge était seulement une action de justice.

La pièce se termine sur la nuit de l’exécution de Kaliayev. Annenkov et Dora attendent de ses nouvelles. Quelques-uns de leurs compagnons soutiennent que Kaliayev pourrait les avoir trahis pour se sauver, mais Dora sait que ce n’est pas possible. Ceci est confirmé peu après par des nouvelles de la mort de Kaliayev. Dora veut se jeter dans le terrorisme et abolir la tyrannie pour retrouver Kaliayev dans la mort.


Bon voilà, en gros vous avez tout. Evidemment c'est très scolaire tout ça, vous m'excuserez, le reste vient. [sourire] Voilà, la grande question de la pièce, c'est de savoir si au nom de la Liberté, au nom de la Justice on doit tout faire, tout se permettre ? Est-ce que tuer ce despote c'est tuer un homme ou réellement le symbole de la tyrannie ? Dans toute la pièce, Camus montre que, si la violence ne va pas sans la Justice, cela pose quand même un problème :
Admettre les excès et l'injustice des moyens (le terrorisme politique peut tuer des innocents), c'est condamner la Révolution en s'opposant certainement à son essence même qui est de servir la vie. Mais au contraire, exiger la pureté absolue des moyens et refuser certaines actions salissantes, c'est peut-être là compromettre le succès de la Révolution.
Le personnage qui me plaît le plus, Dora (Kaliayev est le héros de la moitié des gens de ma classe mais je le trouve très positif et très sûr des bienfaits de la Révolution et quelque part, ça me gène) dit à un moment : « (…) si la seule solution est la mort, alors nous ne sommes pas dans la bonne voie. La bonne voie est celle qui mène à la vie. » Il me semble que je suis d'accord... mais alors comment préserver la vie ? Est-il réellement injuste de tuer cet homme, ce duc parce que c'est un homme ? Un homme qui met un pays à feu et à sang dans son propre intérêt ne peut-il pas être assassiné sans que ce soit "injuste" ? Le point de vue de Kaliayev qui refuse de dire qu'il a tué un homme et persiste dans l'idée qu'il a tué le symbole de la tyrannie est-il réellement recevable ?
Il me semble que le souci, c'est que la question se frotte au problème des points de vue. Le tyran pour l'un ,est le sauveur pour l'autre ; l'image du Bien pour certain a parfois Les Mains Sales pour d'autres (pour paraphraser un certain bonhomme que j'aime beaucoup aussi). Le grand-duc de l'histoire était proche du peuple et haï des intellectuels de gauche, aimé de sa femme, ; tyran pour Kaliayev et ses compagnons.

Plus largement - et pardonnez si vous trouvez que j'extrapole trop - j'ai presque envie de rattacher la question à celle du terrorisme dont on entend parler bien souvent aujourd'hui. Le 11 septembre, tout le monde s'en souvient. Des images, des mots qui ont marqué les esprits. Ces tours immenses qui s'effondrent, les corps défenestrés, les flammes, les larmes, la poussière, les avions etc. Les attentats à la bombe dont on entend régulièrement parler, les voitures piégées, les kamikazes... Mais au fond, ils sont réellement persuadés de la légitimité de leurs actions. Tout ce qu'ils font, ils le font au nom d'une idéologie, d'idées qu'ils veulent défendre, d'une certaine image de la Liberté certainement. Et le souci, c'est bel est bien que nous ne regardons pas tous le monde avec le même regard, que nos points de vue divergent, se croisent et parfois ne se rencontrent pas. Mais quelle est la différence entre un attentat terroriste comme ceux dont on parle à la radio aujourd'hui et l'attention contre le grand-duc Serge de la pièce de Camus ?
Le premier touchera forcément des innocents, le deuxième vise un homme en particulier qui ne l'est pas... Certes. Mais l'innocence... Aïe... vaste question ne trouvez-vous pas ? Le peuple est innocent puisqu'il se tient en dehors de certains conflits, on peut voir ça comme ça en effet. Mais le tyran est-il réellement coupable dans la mesure où il est persuadé du bien fondé de ses actes ? Staline est encore aujourd'hui presque vénéré par bien des Russes, la population espagnole est totalement divisée sur la question du franquisme et des places portent encore le nom de généraux ou même du Caudillo en personne (la dernière fois que j'y suis allée, il y avait un portrait de lui sur la Plaza Mayor de Salamanca, une statue à son effigie à Santander...) sans que cela ne semble géner personne... Les Républicains qui, pendant la guerre civile espagnole ont massacrés des milliers de nationalistes, catholiques, pro-Franco (massacre de Paracuellos) sont-ils excusables parce qu'ils se disaient défendre la Liberté ? A-t-on raison de les dire moins coupables (plus innocents ?) que les Franquistes qui n'y sont pas allés non plus de main morte ? Vaste question il me semble...

La réponse que j'aurais tendance à donner, c'est "ne pas tuer"... L'idée de la mort pour imposer ou défendre ses idées m'est insupportable et je la trouve totalement inadéquate. Défendre une idée, c'est forcément une idée que l'on veut pour la vie, comment alors accepter de la partager en donnant la mort ? Ça n'a pas de sens... Et donner la mort pour imposer cette idée, c'est il me semble un échec. Il en est de même pour la violence... Merleau-Ponty disait - et je crois qu'il a bien raison - que la violence physique arrive là où la parole, les mots perdent tout pouvoir. Recourir à la violence, c'est être dans une impasse parce que c'est ne pas pouvoir ni convaincre, ni persuader l'autre avec le plus bel outils que nous ayons à notre disposition : la parole. La violence dont la paroxysme est la mort, c'est, je crois, arriver à un non-sens total, c'est perdre toute crédibilité, et je l'ai dit, un échec.
Comment réagir face à un pouvoir tyrannique et totalitaire qui déporte, assassine... ? Quelle lutte reste légitime sans se contredire ? Jusqu'à quel point a-t-on raison ou tort ? Comment être efficace sans salir ce pour quoi nous luttons... ?
... Vaste question.


... Sur ces quelques mots, je vous laisse méditer... et me donner votre avis sur la question !
Je vous dépose un petit extrait d'un film que j'aime beaucoup,
La Historia Oficial, avec la graaaande Norma Aleandro (film argentin qui parle de la dictature militaire etc etc etc). Sous-titré en Anglais pour les non hispanophones (je fais un effort !). C'est un passage très difficile - je trouve. Leurs rires sont déchirants parce qu'ils cachent autre chose, parce que Norma Aleandro (la brune) ne sait pas, ne comprend rien, parce que Chunchuna Villafañe, elle, a vécu. Le pire. L'horreur. L'étouffement. L'injuste. La mort. La "vie" après cette presque mort...

 

 


Sur la photo : Mélanie.

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F
<br /> je crois qu'il est difficile de répondre quand on n'a pas connu de régime totalitaire, moi aussi d'emblée, je parierais sur la vie et je serais pour un terrorisme plus percutant matériellement<br /> (bombes, résistance des idées, journaux clandestins, menaces, groupuscules organisés -mon dieu on dirait que je fais l'apologie du terrorisme!)mais je ne sais pas ce que représente concrètement un<br /> tyran et objectivement il me semble que j'aurais envie de le zigouiller ou que d'autres s'en chargent en somme (je tue même pas les araignées, je crains une lâcheté de ma main, déjà je sais pas me<br /> servir d'un couteau pour couper une carotte, c'est dire!). bref, la mort de certains sanguinaires m'a arraché un sourire (et je n'ai pas connu les guerres ni les atrocités) dont j'ai eu honte<br /> immédiatement mais un sourire quand même!donc c'est compliqué en effet... je te le foutrais dans un cachot en sibérie un petit moment mais c'est facile de dire ça en france actuellement... je ne<br /> sais pas, je suis du côté de Dora, résolument, évidemment (les héros me fatiguent, les femmes sont plus fines souvent)<br /> bref, difficile de trancher, disons que si on vote et agit pour éviter la tyrannie avant qu'un con prenne le pouvoir, c'est déjà plus malin<br /> non aux propagandes donc, commençons par le commencement!<br /> <br /> <br />
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E
<br /> Acabo de ver "la historia oficial"... qué estupenda pelicula!! maravillosa... me gustan tanto esas peliculas en las que no se necesitan palabras...<br /> <br /> quant à la question des fins et des moyens... c'est vrai que c'est une question super difficile mais je crois surtt que l'important est de ne pas avoir d'opinion tranchée, jsutement, parce que dans<br /> l'un comme dans l'autre cas c'est obéir à un impératif de pureté absolu, mais c'est un impératif aveugle en quelque sorte parce que c'est une vie contre des centaines de milliers desfois... et en<br /> fait c'est ça la difficulté, savoir composer avec les idéaux et un esprit "pragmatique". C'est la question de l'idéal en fait... est-ce que pour atteindre un idéal il faut suivre l'idéal au pied de<br /> la lettre ou est-ce qu'il faut plutôt voir l'idal comme une espèce de ligne de conduite, un idéal comme un horizon en fait. L'idéal doit être une fin je crois, mais qui ne doit pas permettre tous<br /> les moyens, sinon il y a tyrannie de l'idéal et ce n'est plus un idéal, ça devient une obsession aveugle, et un idéal doit tjs être qqc de réfléchi... c'est de l'idée, pas du matériel. L'idée est<br /> fluctuante, ne doit pas être amenée à se fixer en un "objectif" aveugle sinon elle devient fixité et c'est pour ça qu'elle s'articule autour de la violence. C'est peut-être ça, oui, l'idéal de la<br /> raison, d'être fluctuant, en tout cas ça devrait l'être... le vrai problème de l'idéal c'est d'avoir été confondu avec dogmatisme, mais je pense justement que pour que l'idéal retrouve sa véritable<br /> essence il faut justement qu'il rompe avec le dogmatisme...<br /> <br /> <br />
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